Exposition au Musée Guimet: la porcelaine chinoise, une idée de la perfection (2024)

CRITIQUE - À Paris, le Musée Guimet présente trois cents céramiques monochromes principalement issues d’une collection hongkongaise. Un magnifique arc-en-ciel.

Blanc kaolin, puis ivoire, sucre, neige. Ensuite céladon, turquoise, vert pastèque, pomme, citron ou plume de paon. Viennent encore les bleus. Dans des présentoirs serpentant comme des dragons et parfaitement éclairés par des microspots on ne sait que préférer entre ces nuances «clair de lune», lavande ou pur cobalt. Suivent les différentes profondeurs du noir. Cela avant les rouges, rouge-violet haricot, fraise ou raisin écrasés. Et encore sang de bœuf (vif, finement craquelé, parfois piqué de bulles), rouge scintillant (soufflé à la canne de bambou et filtré à la gaze de soie). À proximité les roses, qu’ils soient prononcés (ceux qui furent collectionnés par Marie-Antoinette) ou doux (peau de pêche), ne sont pas en reste.

À Paris, au Musée Guimet des arts asiatiques, ce sont au total trois cents porcelaines chinoises monochromes qui rivalisent de beauté. Ces jarres, boîtes, coupes, vases, tasses avec leur fine soucoupe, rince-pinceaux, brûle-parfum ou encore jardinières relèvent pour une petite part des chefs-d’œuvre maison et pour les trois quarts de la collection du mécène hongkongais Richard W. C. Kan. Ils vont de la dynastie des Tang (618-907, une lignée qui sera à l’honneur sur place à partir du 20novembre à travers une exposition sur Chang’an leur capitale), au début de l’ère industrielle.

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Avec eux, on passe par le temps des Song (960-1279) premiers empereurs à célébrer la porcelaine par des collections historiques ou par celui des Ming (1368-1644) durant lequel ce goût a connu son apogée. Ces neuf sections couvrent donc plus d’un millénaire. Mais le propos est moins historique que spirituel. Si ces objets sont rassemblés selon leur couleur, c’est pour mieux faire passer la passion de l’épure, cette simplicité, sensualité et perfection proprement taoïste.

Prenez les bruns. Ils vont du roux à celui évoquant la patine du bronze. Prenez les flammés ou mouchetés: on en admire en fin de parcours de magnifiques, fauve strié de gris, dits à Pékin «fourrure de lièvre», à moirures bleues «plumes de perdrix», couleur millet, ce qui équivaut chez nous à café au lait. Et encore peau de chamois, poussière de thé, rouille marbrée. Quel lexique! Mais c’est que cette palette est richissime. Bien sûr rayonnent ici les jaunes, de celui dit «racine de lotus» à celui dit «peau d’anguille». Le jaune solaire, que nous disons «impérial», ou, en mandarin, bien moins lyriquement, «gras de poulet», éblouissant évidemment le plus.

Des raretés uniques

Tant de variété aboutit à un arc-en-ciel de créations virtuoses. Certaines pièces, cuites et recuites, allant dans une ultime vitrine jusqu’à imiter l’argent, le bois, le galuchat, voire l’irisation que provoque un peu d’essence dans une flaque d’eau. Mais là n’est pas la principale des surprises que nous réserve la monochromie. À la clarté des formes, à des surfaces hom*ogènes (tout ce qui n’était pas jugé absolument parfait par les magistrats chargés des sorties de four était brisé) semble répondre l’infinie subtilité des glaçures. En Chine, la pièce était appréciée non seulement par l’œil, mais aussi par la main et même l’oreille. L’esthète la goûtait à la lumière du jour, en la caressant, la soupesant et en la faisant tinter. L’aspect pouvait être jugé terne, scintillant, brillant ou éclatant, mais aussi crémeux, velouté, gras. Et la porcelaine à ses chants, ses murmures…

Premier parmi les amateurs, l’empereur avait sa couleur réservée. Souvent conséquence d’une découverte physico-chimique ou d’une avancée technique récente, elle lui était réservée et il la chérissait autant que, dans les cabinets les plus privés de ses palais, ses feuilles calligraphiées, ses ors, ses laques, ses jades et autres pierres précieuses. La fameuse marque d’idéogrammes entourés d’un double cercle figure d’ailleurs ici sur nombre d’objets.

En les observant on découvre des motifs en résonance avec des poèmes - quelques-uns sont d’ailleurs portés aux murs

Parmi ces raretés, quelques-unes s’avèrent véritablement uniques. Ainsi ce crachoir céladon du Vesiècle, cette aiguière verte à tête de phénix de la fin du Xe, cette vaisselle bleu pour le Temple du ciel ou cette vasque à narcisses Ming gravée «numéro1» sur sa base: elle présente une couverte pourpre à l’extérieur et bleue à l’intérieur, tel un kimono de soie. D’autres sont ornées de scènes gravées, sculptées, moulées ou appliquées, souvent très légèrement, presque invisibles. En les observant on découvre des motifs en résonance avec des poèmes - quelques-uns sont d’ailleurs portés aux murs.

Au XVIIIesiècle, Qianlong faisait inscrire ses vers sur les plus beaux éléments de sa collection. Se signale alors l’amour de cette civilisation pour les correspondances. La flore et la faune inspiraient cette société profondément animiste. Un bassin de couleur violette s’accorde aux bulbes de narcisses cultivés à Nankin comme dans la Cité interdite. On adore pareillement jouer des euphonies, des polysémies, des emblèmes et symboles. Les craquelures? Produites sciemment par des potiers reconnus comme maîtres alchimistes, elles évoquent la glace au début du printemps, elles connotent le renouveau.

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Autres exemples, ces céramiques à formes de cucurbitacées. Elles suggèrent l’abondance. Et si au fond d’un bol volettent quelques chauves-souris c’est que ce petit mammifère est, en Asie, de bon augure. En mandarin, lephonème «fu» signifiant à la fois animal et bonheur. Dès lors on nes’étonnera pas non plus de distinguer sur une coupe blanche immaculée un rhinocéros regardant la lune. La bête et la belle? La trivialité de l’homme devant la sublime nature? Certainement.

Ça et là on remarque encore des formes archaïsantes. Certaines coupes à libation renvoient aux tripodes de l’âge du bronze. Une aiguière semble coiffée d’un bonnet de moine tibétain. Une coupe paraît tourner avec en son centre le signe du yin et du yang. Ce goût du passé n’est toutefois pas supérieur à celui pour la nouveauté.

Les nouvelles factures, produites par des cuissons variées et complexes (jusqu’à 1350°C), se succèdent au fil des vitrines. Vases à la surface truitée, fendillée, réticulée… À mi-parcours, derrière une cloison en papier de riz une projection d’images agrandies montre ces surfaces. Elles valent comme autant d’univers microscopiques. Mais, peut-être, plus exquise encore, présentée dans une vitrine dédiée, cette paire de tasses présentant des dessins par transparence dans la matière d’un blanc immaculé (lithophanie). Il semble qu’un souffle pourrait la dissoudre. Et pourtant ce jeu de dentelle en porcelaine est plus dur que l’acier.

«Au cœur de la couleur, chef-d’œuvre de la porcelaine monochrome chinoise (VIIIe -XVIIIesiècle»), jusqu’au 16septembre au Musée national des arts asiatique-Guimet, (Paris16e). Catalogue Lienart, 352p., 35€.

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Author: Rubie Ullrich

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